Klara Ceberio, d’Elhuyar, et Elizabete Manterola, du groupe de recherche Tralima-itzulik de la Faculté des lettres de l’UPV/EHU, nous parlent du projet financé par l’appel KSIgune Connexions 2023/24. À travers ce projet, elles veulent contribuer au développement de sociétés plus justes à partir du domaine des Industries des Langues.
KSIgune: Votre projet concerne l’impact de la traduction automatique sur la qualité linguistique, concrètement sur le biais de genre que génèrent ces systèmes. Quelle est selon vous la dimension ou l’importance de ce problème à l’heure actuelle ?
Klara Ceberio / Elizabete Manterola: Nous sommes en pleine ère de l’intelligence artificielle et la traduction automatique est l’une des technologies qui a le plus progressé ces dernières années. L’utilisation de cette technologie s’est beaucoup développée dans la société et, à mesure que son utilisation augmente, la qualité des résultats des traducteurs automatiques est elle aussi devenue un sujet de préoccupation. Le biais de genre est un problème courant dans le domaine des traducteurs automatiques. Ces outils apprenant des exemples, les algorithmes apprennent et reproduisent les biais et stéréotypes existants dans les textes et, par conséquent, le risque existe de les perpétuer. Ce problème est d’autant plus évident lorsque l’on traduit de langues qui n’ont pas de genre grammatical, par exemple dans la combinaison basque-espagnol.
La préoccupation pour les biais des systèmes d’intelligence artificielle est très répandue au sein de la communauté des chercheurs, notamment au sein de la communauté technologique. On citera le travail de Corral et Saralegi (2022) qui ont cherché et développé une technique innovante pour réduire les biais de genre dans la traduction automatique.
KSIgune: Pour répondre à ce problème, vous proposez d’analyser le biais de genre qui se produit dans les résultats de la traduction automatique entre le basque et l’espagnol. Comment abordez-vous ce défi dans votre projet ?
Klara Ceberio / Elizabete Manterola: Nous sommes en train d’établir des critères pour l’analyse du biais de genre et nous analyserons les traductions de textes traduits à l’aide de la traduction automatique.
Pour cela, afin de garantir la diversité textuelle, on a eu recours à des textes de différents domaines. D’une part, on a choisi des extraits de texte dans le domaine littéraire et de genre narratif ; d’autre part, dans le domaine journalistique, on a utilisé des textes du quotidien Berria et, enfin, on a pris en compte des textes de vulgarisation scientifique pour analyser comment le traducteur automatique s’y prend dans chaque cas.
Pour analyser et évaluer efficacement les exemples problématiques liés au biais de genre, nous sommes en général partis de listes de mots qui peuvent se référer à des stéréotypes féminins et masculins. Par exemple, il y a des adjectifs qui sont généralement associés à des stéréotypes féminins (belle, jolie...), tandis que d’autres sont associés à des stéréotypes masculins (fort, courageux...).
On retrouve une situation analogue dans les professions, c’est pourquoi notre objectif est de revoir les métiers où les hommes et les femmes ont traditionnellement travaillé. Par exemple, ceux qui sont habituellement associés aux hommes : mécaniciens, chefs d’entreprise, chirurgiens... ; et ceux qui sont associés aux femmes : secrétaires, femmes de ménage, aides-soignantes, infirmières...
Nous sommes en train d’analyser la manière dont les traducteurs automatiques traitent ces mots et évaluent les résultats, afin d’améliorer les systèmes de traduction automatique dans le futur.
KSIgune: Quels résultats espérez-vous obtenir de votre recherche pour répondre aux défis sociétaux, technologiques et numériques que vous abordez dans le secteur des Industries des Langues ?
Klara Ceberio / Elizabete Manterola: Les résultats que nous obtiendrons au cours de cette recherche serviront à prendre en compte le biais de genre dans le développement de technologies basées sur l’intelligence artificielle à l’avenir, et aussi à développer des algorithmes plus égalitaires.
En outre, jusqu’à présent, la majorité des recherches a été réalisée sur un plan technologique. Or, il nous paraît indispensable d’étudier cette question sur un plan linguistique, car l’amélioration des résultats passe nécessairement par une analyse plus approfondie de la langue.
KSIgune: Six chercheuses et un chercheur prendront part à ce projet. Quels éléments caractéristiques ce regard essentiellement féminin apportera-t-il au projet ?
Klara Ceberio / Elizabete Manterola: Il va de soi que la diversité des visions enrichit le projet, non seulement car il s’agit d’un groupe de travail éminemment féminin, mais aussi en raison du lien qu’il pose entre université et entreprise et en raison du mélange de différents points de vue : celui des recherches liées à la langue et celui des recherches liées à la technologie. Nous utilisons dans l’entreprise des technologies et des ressources créées par Elhuyar et mises à la disposition de la société pour préparer un travail de recherche en lien avec la langue.
KSIgune: Selon vous, que vous apportera faire partie de KSIgune Connexions ? Comment, à votre avis, pouvons-nous continuer d’apprécier, en tant que communauté, le travail des femmes chercheuses dans le domaine des Industries Culturelles et Créatives (ICC) ?
Klara Ceberio / Elizabete Manterola: Faire partie de KSIgune Connexions nous offre une chance unique de collaborer avec l’industrie et l’université. La collaboration entre des institutions comme l’université et Elhuyar nous semble indispensable pour avancer dans la recherche et le développement. Ici, nous avons par ailleurs eu la possibilité de concilier deux thématiques de recherche traditionnellement associées au féminin et au masculin, puisque nous avons exploité les connaissances en matière de traduction pour analyser les résultats de la technologie basée sur l’intelligence artificielle.
Linguistiquement, nous avons voulu en quelque sorte mettre l’accent sur le chemin vers l’égalité, en appliquant les connaissances et la recherche acquises à l’université à un usage réel.
Enfin, ce projet nous a aidés à créer un groupe de travail multidisciplinaire pour réaliser ce type de projets qui ne sont pas portés dans d’autres pays.
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